
Avec sa voix douce et son sourire bienveillant, Ingrid Boutros a accueilli au fil des ans des centaines d'étudiantes et étudiants vivant de la détresse financière. Elle les a écoutés et rassurés, en plus de leur fournir des denrées alimentaires et de précieux conseils. Impliquée dans la Table du pain, une organisation vouée à soutenir la communauté étudiante dans le besoin, l'étudiante au doctorat en sciences infirmières souhaite que toutes et tous puissent vaincre les obstacles d'un quotidien de plus en plus cher, obtenir le diplôme convoité et réaliser leurs rêves.
Bien sûr, Ingrid Boutros n'accomplit pas cette œuvre admirable toute seule. Présidente du conseil d'administration de la Table du pain depuis 2021, elle a été épaulée cette année par les 11 autres membres du CA et quelque 200 bénévoles, tous étudiantes et étudiants de l'Université.
«La Table du pain, c'est un projet d'entraide géré uniquement par des étudiants au seul bénéfice des étudiants de l'Université Laval», précise-t-elle.
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Ingrid Boutros confie avoir découvert la Table du pain comme bénéficiaire. Cette infirmière libanaise, spécialisée dans les soins intensifs néonatals, a quitté son pays pour entreprendre des recherches doctorales sur l'accompagnement offert aux parents vivant le deuil de leur nouveau-né. «Venir étudier au Canada et développer mes connaissances pour améliorer un peu les soins au Liban, c'était mon rêve. Au début, c'était la lune de miel!», s'exclame-t-elle avant d'ajouter qu'après quelques mois la réalité s'est révélée plus difficile.
Comme bon nombre d'étudiantes et étudiants de l'international, Ingrid Boutros s'est installée à Québec avec un montant qu'elle supposait suffisant. «Mais la vie ici est différente de celle dans mon pays. À l'hiver 2016, je me suis présentée à la Table du pain pour recevoir des denrées alimentaires. On ne m'y a pas donné que de la nourriture. J'y ai trouvé un véritable soutien. Quand on arrive à Québec, on est seul et on ne sait pas où acheter les choses à bon prix. J'ai rencontré des personnes qui m'ont écoutée et qui m'ont donné des astuces pour vivre ici à moindre coût», raconte-t-elle.

Depuis 2016, Ingrid Boutros accueille avec bienveillance les bénéficiaires de la Table du pain.
— Yan Doublet
Après deux visites, Ingrid Boutros sent que, pour marquer sa gratitude, elle peut donner du temps. Elle s'engage donc comme bénévole à la Table du pain. «J'ai beaucoup aimé mon expérience, dit-elle. Ce bénévolat me remplissait de joie et de satisfaction. Je suis donc revenue d'une session à l'autre et j'ai monté les échelons. J'ai été nommée membre du ÇA et je suis devenue responsable des bénévoles, avant de passer coordonnatrice, puis vice-présidente et finalement présidente.»
Les nombreux bienfaits de la Table du pain
Service d'aide alimentaire, la Table du Pain distribue chaque semaine 400 paniers à quelque 300 étudiantes et étudiants qui en font la demande. Les couples reçoivent deux paniers et les familles, trois. On estime qu'une trentaine de familles par semaine ont recours à cette aide. Pour obtenir le service, les bénéficiaires doivent s'inscrire, ce qui permet de s'assurer que la dernière personne qui se présentera au comptoir recevra autant que celle qui s'y est présentée en premier. L'an dernier, la Table du Pain a reçu plus de 2300 inscriptions, dont celles de quelque 150 couples et 200 familles.
L'organisme peut compter, chaque semaine, sur des denrées livrées par Moisson Québec, qui a donné l'an dernier environ 500 000$ de valeur marchande de nourriture. À cela s'ajoutent les aliments achetés par la Table du pain grâce à des subventions. L'année dernière, l'organisation a réussi à recueillir quelque 52 000$. Deux fois par année, l'organisme Vide ta sacoche donne à la Table du pain des produits cosmétiques et d'hygiène personnelle. Des dons privés et les fruits de quelques projets réalisés par des membres du personnel de l'Université viennent également garnir occasionnellement le comptoir.
Les paniers comprennent généralement des aliments frais et des denrées non périssables, ainsi que des produits d'hygiène et de nettoyage. Ils sont distribués les mercredis, entre 11h et 13h, à la salle Newman du pavillon Louis-Ernest-Lemieux.

Dans une atmosphère joyeuse, les bénévoles préparent le comptoir alimentaire avant l'arrivée des premiers bénéficiaires. La distribution des paniers se déroule les mercredis de 11h à 13h à la salle Newman du pavillon Ernest-Lemieux.
— Yan Doublet
En plus du comptoir alimentaire, un coin discussion est aménagé dans le local. La Table du pain y offre gratuitement café et dessert aux bénéficiaires et les invitent à échanger entre eux et avec des bénévoles.
— Ingrid Boutros
L'organisme a notamment créé des outils destinés aux gens plus réservés. «On a inscrit des questions sur des cuillères décorées et on invite les gens à piger une cuillère. C'est une belle façon d'entamer une discussion», indique Ingrid Boutros.
La Table du pain est le projet central de la Conférence Marie-Guyart, un comité qui découle à la fois de l'Association étudiante catholique de l'Université Laval et de la Société de Saint-Vincent de Paul de Québec. Toutefois, toutes les personnes étudiantes dans le besoin y sont les bienvenues, peu importe leur foi ou leur confession religieuse. «On ne parle pas de religion. On se préoccupe uniquement du bien-être des étudiants. On est là pour les orienter vers des ressources, comme le Centre d'aide aux étudiants, le Bureau des bourses et de l'aide financière, le Bureau de la vie étudiante ou les gestionnaires des études», insiste Ingrid Boutros.
Un modèle d'empathie
Si, peu après son arrivée à Québec, Ingrid Boutros a tiré le diable par la queue, elle a depuis amélioré son sort. «Au début, j'ai fait des ménages et j'ai travaillé dans la restauration. Puis, j'ai gravi les échelons. J'ai été engagée pour faire de la correction. Puis, j'ai participé à des recherches avec des professeurs et j'ai donné des cours à l'Université Laval et à l'Université du Québec à Chicoutimi. Je suis aussi interprète arabe-français dans les services communautaires», témoigne-t-elle.
Elle n'a tout de même pas oublié par où elle est passée et espère maintenant aider les étudiantes et étudiantes en détresse financière. Visiblement, elle a réussi à influencer positivement maintes destinées.
«Parfois, des gens que j'ai aidés viennent me voir pour me dire que, grâce à moi, ils ont eu leur diplôme. Une femme qui vivait une grossesse difficile est venue me dire que, grâce à moi, elle a eu son bébé. Une autre m'a remercié de préserver la santé mentale et physique de ses enfants qui mangent à leur faim. Un homme m'a dit que je l'inspirais de faire autant d'heures de bénévolat en même temps qu'un doctorat. Mais, pour moi, c'est normal d'aider les autres. Et quand j'entends des commentaires comme ça, j'ai simplement envie d'en faire encore plus», conclut la généreuse doctorante.
Témoignage
La vie universitaire n’est pas qu’une question d’études. Parmi tous les à-côtés, il y a la nécessité de bien se nourrir, de prendre des forces pour pouvoir accomplir tout ce que la vie demande. C’est là que la Table du pain entre en jeu. Et au sein de cette équipe, une personne se démarque, Ingrid Boutros.
Contrairement à plusieurs dont l’engagement est plus circonscrit dans le temps, Ingrid est présente depuis longtemps. Ce qui la caractérise avant tout, c’est sa capacité de planification et d’organisation. Énergique, disciplinée, elle n’est pas économe de son temps quand il s’agit de faire fonctionner la Table. Attentive à tous, elle est largement reconnue pour son activité et son humanité, car elle se préoccupe vivement des difficultés que traversent ses collègues étudiants.
Daniel Fradette, conseiller à la vie spirituelle et communautaire au Bureau de la vie étudiante