Choix de pensées spirituelles de saint François de Laval suivies des célèbres conseils aux missionnaires
Il faut se faire aimer par sa douceur, sa patience et sa charité.
Souvent, une parole d’aigreur, une impatience, un visage rebutant, détruiront en un moment ce que l’on avait fait en un long temps.
Tout ce que la main de Dieu fait nous sert admirablement, quoique nous n’en voyions pas sitôt les effets.
C’est le royaume qui est au-dedans de l’âme qui fait notre centre et notre tout.
La semence de la Parole de Dieu porte du fruit dans la patience.
Être rempli de l'esprit de Dieu. Cet esprit doit animer nos paroles et nos coeurs. La bouche parle de l’abondance du cœur.
Il faut mettre toute notre confiance et notre force en notre Seigneur, en sa sainte Mère et toute sa Sainte Famille.
Il est bien juste… que nous ne vivions que de la vie du pur abandon en tout ce qui nous regarde au-dedans comme au- dehors.
Toute notre industrie humaine et nos soins empressés n’avancent point l’œuvre du bon Dieu.
Soyez tous persuadés qu’étant envoyés pour travailler à la conversion du monde, vous avez l’emploi le plus important qui soit dans l’Église, ce qui vous oblige à être de dignes instruments de Dieu.
L’Esprit de Dieu demande un cœur paisible, recueilli et non pas un cœur inquiet et dissipé. Il faut un visage joyeux et modeste.
Conseils aux missionnaires
Ecrit n. 6 tiré du livre Écrits spirituels de Mgr Hermann Giguère P. H. publié en 2014 par le Séminaire de Québec
François de Laval s’adresse à deux missionnaires qui ont décidé d’aller hiverner avec les autochtones sur les bords du Lac Ontario. Il s’agit de deux jeunes sulpiciens qui furent les premiers prêtres séculiers à œuvrer auprès des autochtones: Claude Trouvé et François de Salagnac. Mgr de Laval les encourage dans leur projet en leur concédant les juridictions nécessaires dans une très belle lettre en date du 15 septembre 1668 à laquelle il joint des conseils qui sont remarquables (Ecrit n.7)
Lettre à deux missionnaires du Séminaire de Saint-Sulpice de Montréal au lac Ontario,
14 février 1665.
*François, par la grâce de Dieu et du Saint-Siège, Évêque de Pétrée, Vicaire Apostolique en la Nouvelle-France, nommé par le Roi premier évêque du dit pays, à notre bien-aimé en Notre-Seigneur, François de Salagnac, prêtre, salut.
C'est avec une singulière satisfaction et consolation de notre âme que Nous avons vu la ferveur et le courage avec lequel vous vous portez à la conversion des nations infidèles, et que pour l'exécution de ce pieux dessein vous Nous avez fait connaître les sentiments que Dieu vous a donnés d'aller avant cet hiver dans un lieu situé vers l'entrée plus proche de nous du lac nommé Ontario, côte du nord, pour y travailler à la conversion d'une nation que Nous avons appris qui s’y est établie depuis environ trois ans, et y chercher les brebis égarées que ci-devant les Pères de la Compagnie de Jésus avaient amenées au bercail de Notre-Seigneur Jésus Christ.
Nous sentant d'autre part porté de contribuer de tout notre pouvoir et autorité à un zèle si saint, et le devoir de notre charge Nous obligeant de pourvoir aux besoins de ce lieu et ne pouvant le faire par Nous-même pour la trop grande distance, étant d’ailleurs bien informé de votre suffisance, piété et bonnes mœurs, Nous vous donnons pouvoir et autorité de travailler à la conversion de ce peuple, leur conférer les sacrements et généralement faire tout ce que vous jugerez à propos pour l’établissement de la Foi et l’accroissement du Christianisme nouveau; et ce autant de temps que Nous le jugerons à propos, vous enjoignant toutefois d’être subordonné en toutes les dites fonctions à notre bien-aimé Claude Trouvé, prêtre, que Nous associons avec vous pour le même dessein, et de recevoir en tout ce qui regardera le salut des âmes, la conduite et le pouvoir de lui, vous exhortant surtout de vivre ensemble dans une sainte union.
Que si par une providence de Dieu, il se présente quelque occasion d’écrire à quelques-uns des Pères de la Compagnie de Jésus qui sont dans les nations iroquoises, Nous vous exhortons et désirons que vous confériez avec eux par lettres de toutes les difficultés que vous rencontrerez dans l’administration de vos fonctions et que vous vous conformiez à la pratique que les lumières de la grâce et leur longue expérience leur ont fait juger nécessaire d’établir pour la conduite de ces nouveaux Chrétiens, tant en ce qui concerne l’usage des sacrements qu'en tout le reste du spirituel.
Mais sur toutes choses, Nous vous conjurons de leur faire paraître en toute sorte de rencontres des marques véritables et sincères du ressentiment [Note: n'a pas de sens péjoratif, mais équivaut à "sentiment" dans le langage d'aujourd'hui] très juste que vous avez avec Nous des grandes obligations dont cette Église naissante est redevable à cette sainte Compagnie, pour le zèle et les soins continuels avec lesquels elle y a travaillé depuis quarante ans et continue de faire encore aujourd'hui.
La grande bénédiction qu'il a plu à Notre-Seigneur de donner à ses travaux nous sert d'un puissant motif pour nous porter autant qu'il est en notre pouvoir de conserver toujours une liaison très étroite et intime union avec les religieux missionnaires de cette Compagnie, afin que n'ayant tous qu’un même cœur et un même esprit, il plaise à Notre-Seigneur Jésus Christ, le souverain Pasteur des âmes, vous rendre tous participants des mêmes grâces et bénédictions.
C'est ce que Nous le supplions très humblement de vous accorder par ses mérites, par l’intercession de sa très sainte Mère, du bienheureux saint Joseph, patron spécial de cette Église naissante, de tous les saints Anges tutélaires, des âmes qui sont sous notre charge et de tous les saints protecteurs de tout ce Christianisme.
Donné à Québec, ce quinzième de septembre mil six cent soixante-huit.
François, évêque de Pétrée.
Altera nova positio pp. 212-214
Écrit n. 7
Plusieurs extraits de ce texte sont souvent cités avec le titre : Conseils aux missionnaires. Il s’agit d’un des plus beaux textes de François de Laval qui donne une bonne idée de sa prédication et des autres textes qui sont aujourd’hui perdus.
Instruction pour nos bien-aimés en Notre-Seigneur Claude Trouvé et François de Salagnac, prêtres, allant en mission aux Iroquois situés en la côte du nord du lac Ontario, 1668.
1- Qu'ils se persuadent bien qu'étant envoyés pour travailler à la conversion des infidèles, ils ont l'emploi le plus important qui soit dans l'Église; ce qui les doit obliger, pour se rendre dignes instruments de Dieu, à se perfectionner dans toutes les vertus propres d’un missionnaire apostolique, méditant souvent à l'imitation de saint François Xavier, le patron et l'idée [i.e. l'idéal] des missionnaires, ces paroles de 1'Évangile: «Quid prodest homini si universum mundum lucretur, anima vero sua detrimentum patiatur» (traduction : Que sert à l’homme de gagner l’univers, s’il perd son âme).
2- Qu'ils tâchent d'éviter deux extrémités qui sont à craindre en ceux qui s'appliquent à la conversion des âmes; de trop espérer ou de trop désespérer.
Ceux qui espèrent trop sont souvent les premiers à désespérer de tout à la vue des grandes difficultés qui se trouvent dans l'entreprise de la conversion des infidèles, qui est plutôt l'ouvrage de Dieu que de l'industrie des hommes.
Qu'ils se souviennent que la semence de la parole de Dieu fructum affert in patientia (traduction : porte du fruit dans la patience).
Ceux qui n'ont pas cette patience sont en danger, après avoir jeté beaucoup de feu au commencement, de perdre enfin courage et de quitter l'entreprise.
3- La langue est nécessaire pour agir avec les sauvages [le terme « sauvages » n’a rien de péjoratif dans la bouche de Mgr de Laval. Il désigne de façon générale au XVIIe siècle les nations amérindiennes vivant dans la forêt qui se dit en latin : « selva » d’où le nom « sauvage ».]; c'est toutefois une des moindres parties d'un bon missionnaire, de même que dans la France, de bien parler français n'est pas ce qui fait prêcher avec fruit.
4- Les talents qui font les bons missionnaires, sont:
1° Être rempli de l'esprit de Dieu. Cet esprit doit animer nos paroles et nos coeurs. Ex abundantia cordis os loquitur (traduction : la bouche parle de l’abondance du cœur).
2° Avoir une grande prudence pour le choix et l'ordre des choses qu’il faut faire, soit pour éclairer l'entendement, soit pour fléchir la volonté; tout ce qui ne porte point là sont paroles perdues.
3° Avoir une grande application pour ne perdre pas les moments de salut des âmes et suppléer à la négligence qui souvent se glisse dans les catéchumènes; car comme le diable de son côté venit tamquam leo rugiens, quaerens quem devoret (traduction : vient tel un lion rugissant, cherchant qui dévorer), ainsi faut-il que nous soyons vigilants contre ses efforts avec soin douceur et amour.
4° N’avoir rien dans notre vie et dans nos mœurs qui paraisse démentir ce que nous disons ou qui mette de l’indisposition dans les esprits et dans les coeurs de ceux qu’on veut gagner à Dieu.
5° Il faut se faire aimer par sa douceur, sa patience et sa charité et se gagner les esprits et les coeurs pour les gagner à Dieu; souvent une parole d'aigreur, une impatience, un visage rebutant, détruiront en un moment ce que l’on avait fait en un long temps.
6° L'esprit de Dieu demande un cœur paisible, recueilli et non pas un cœur inquiet et dissipé.
Il faut un visage joyeux et modeste, il faut éviter les railleries et les ris déréglés et généralement tout ce qui est contraire à une sainte et joyeuse modestie. Modestia vestra nota sit omnibus hominibus (traduction : Que votre modestie soit connue de tous les hommes).
5- Leur application principale dans l'état présent où ils se trouvent sera de ne laisser mourir autant qu'il sera possible aucun sauvage sans baptême.
Qu'ils prennent garde néanmoins d'agir toujours avec prudence et réserve dans les occasions à l'égard des baptêmes des adultes et même des enfants hors des dangers de mort.
6- Dans le doute qu'un adulte aura été autrefois baptisé, qu'ils le baptisent sous condition, et pour assurer davantage son salut, qu'ils lui fassent faire en outre une confession générale de toute sa vie, l'instruisant auparavant des moyens de la bien faire.
7- Qu'ils aient un grand soin de marquer par écrit les noms des baptisés, des pères et mères et même de quelques autres parents, le jour, le mois et l'année du baptême.
8- Dans les occasions, qu'ils écrivent aux Pères Jésuites qui sont employés dans les missions iroquoises pour la résolution de leurs doutes et pour recevoir de leur longue expérience les lumières nécessaires pour leur conduite.
9- Ils auront aussi un grand soin de Nous informer par toutes les voies qui se présenteront, de l'état de leur mission et du progrès qu'ils feront dans la conversion des âmes.
10- Qu'ils lisent souvent ces avis et les autres mémoires des instructions que Nous leur avons données pour s'en rafraîchir la mémoire et les bien observer, se persuadant bien que de là dépend 1’heureux succès de leur mission.
François, évêque de Pétrée
Altera nova positio pp. 214-216